Mauvaise impression

Chères Vudemafenêtriennes, Chers Vudemafenêtriens,

Pour celles et ceux qui m'ont déjà lue, vous savez comme j'affectionne particulièrement les néologismes et autres jeux de mots capillotractés. Et comme vous êtes maintenant 200 à fureter chaque mois du côté de Ma Fenêtre,  j'ai pensé que vous aviez le droit à votre néologisme,  un baptême façon "points de vue ; images de mon monde".

Voilà bientôt quatre mois que je vous fais partager mes impressions photographiques hebdomadaires, et de vous savoir déjà 200 derrières vos écrans, je ne vais pas m'en cacher (même si nous ne nous voyons pas) ça me flatte. De lire que les photos vous apaisent ... ça me flatte aussi. D'avoir donné envie à certains de relire Desproges ... ça fait plus que me flatter, ça me gêne (mais quand même, ça me flatte). 

Pourtant, chaque jeudi matin, quand je me réunis pour ma conférence de rédaction avec Hangus (mon chien, je sais que ça s'écrit avec A, mais c'était l'année des N, et pour les chiens, j'avoue que je suis en brin conformiste), chaque jeudi matin, quand rien n'est prêt, que je n'ai pas même pas une amorce de semblant d'hypothétique sujet, fusse-t-il minimaliste, j'ai comme une mauvaise impression.

Et cette impression n'a rien à voir avec Hangus puisque lui fait toujours bonne impression.

Cette impression, la mauvaise, provient de l'exercice que je me suis imposée, alors même que cet exercice procède d'un choix tout à fait personnel : tenir chaque semaine ma photo-chronique d'humeur. Je sais, "Choisir, c'est renoncer" (merci A. Gide d'avoir provoquer tant de réflexions, tant d'interrogations, tant de capillotractions à l'utilité tout aussi douteuse qu'un cheveu d'adolescent après le sport). Mais je n'avais pas conscience des cas de la même conscience que mon choix allait engendrer.

J'ai choisi de partager avec vous un point de vue, ... mais qui n'est que le mien... ce qui m'amène chaque jeudi matin à trouver que, décidément, cet exercice est bien présomptueux. Or, il ne faut jamais mêler Flatterie et Présomption ! Jamais, comme dans "ne jamais les laisser boire de l'eau après minuit", parce que la présomption se nourrit de la flatterie.  Alors maintenant que vous êtes deux cents (en lettres c'est mieux, plus élégant, plus raffiné, plus) je vous laisse imaginer les tempêtes de cerveau que je dois supporter ! Je suis tellement présomptueusement flattée que j'ai  l'impression d'être un président élu à l'insu de son plein gré parce que l'un de ses collègues avait une sexualité fort empreinte de son plein gré lui, le collègue, pas celui du président. Oui, vous avez le droit de pensée que c'est une drôle d'impression, mais c'est la mienne. J'en fais ce que je veux ; même l’exhiber. 

Oui, encore, en vous écrivant, je me fais parfois l'effet d'être un président droit dans ses bottes (et Météo-France sait à quel point il a besoin de bottes) qui a sans doute été perturbé par cet accès inattendu à la fonction tout aussi inattendue. Passé l'étonnement, le président prenant la mesure de la tâche qui l'attendait, a dû faire montre d'un détachement de la réalité ne pas remettre sa démission (après avoir changé d'identité, de pays, voire de continent) ! Symptôme classique  du syndrome classique du "pourquoi pas moi, après tout, j'suis pas pire qu'un autre. Moi aussi j'ai des qualités puisque tout le monde en a !" (vous trouvez sans doute que le président s'exprime de manière quelque peu cavalière ; j'avais oublié de vous dire que j'ai l'impression  d'être un président normal, qui s'exprime donc, normalement).

Évidemment tout le monde en a, des qualités, mais elles ne sont pas toutes adaptées à la fonction que nous occupons. L'inadéquation entre les qualités et la fonction est le nœud du problème. Elle peut être minorée si le propriétaire des qualités et de la fonction a pleinement conscience du décalage, car, pour la compenser, l'inadéquation, le proprio usera de bonne volonté. Il ne fera pas bien, mais il ne fera pas mal, comme le spasfon (celle-là c'est uniquement pour les connaisseurs de Mme Jacqueline Maillant).

Malheureusement, si le propriétaire refuse de voir la réalité en face, pour tenir le rôle, il se doit d'y croire, de se persuader qu'il est le seul, l'unique capable de relever la mission. C'est là que Miss Présomption et ses potes Ego, Irresponsabilité, Aveuglement, Obstination entre en Seine jusqu'à ce que le président, pour se protéger , n'en vienne à mordre la main qui le nourrit.

Moi aussi, j'ai parfois l'impression d'être un président élu sur un malentendu qui mord la main qui le nourrit. Mais c'est pas de ma faute, c'est la faute à la flatterie ! Pourquoi cette impression ? 

J'ai la chance chaque semaine de pouvoir exprimer le fond (du fond) de ma pensée, sans filtre ni relecture, même quand il s'agit des couilles (pardonnez-moi pour l'utilisation intempestive du terme latin populaire colea, mais j'ai un contrat moral avec quelques proches). J'ai également la chance de provoquer des émotions agréables, et ce, "en tout bien tout bonheur" (oui, je sais, c'est honneur, mais ce n'est qu'un exercice de style, rien de plus). Et par dessus tout, j'ai la chance d'avoir le temps pour le faire.Le temps, le fameux, qui semble manquer à tout le monde, sauf à moi. J'en ai même trop parfois. Mais, le temps, c'est comme l’électricité produite par les éoliennes, on ne sait pas encore comment le stocker. Alors, tout ce temps, je le perds, comme le président malentendant qui perd son temps parce qu'il sait maintenant que le temps de sa fonction lui est compté. Je perds ce temps précieux à ne pas voir que mes qualités ne sont plus en adéquation avec ma fonction. Vous voyez que le rapprochement est possible entre ce président et moi ! 

Comme le président socialement paraplégique qui nous propose de faire 6000 pas par jour, je fais le douloureux apprentissage du handicap au sens inadéquation entre mes qualités physiques et la fonction sociale que je voulais remplir. Ce qui ne m'empêche pas, chaque jeudi matin, quand je prépare ma bouffée de photo-chroniques antalgiques, de continuer de penser que je vole mon employeur en prenant du bon temps avec vous puisque je ne suis plus en capacité de faire autre chose.

Là, c'est peut-être ce qui me distingue du président auquel j'ai l'impression de ressembler : la conscience, c'est comme le verre, on peut la voir à moitié pleine, mais également "l'avoir" à moitié vide.

Je ne sais pas du tout comment le président auquel j'ai l'impression de ressembler pourrait prendre pleinement conscience que l’inadéquation est devenu le PPCM entre ses qualités et sa fonction. Si le président existait, je lui hé-crirais directement. 

Ce que je sais, en revanche, c'est que je vais continuer de profiter douloureusement de mon handicap naissant pour méditer sur l'insignifiance de la condition humaine. Et pour qu'elle soit encore plus insignifiante, j'ai décidé de la passer à la moulinette de son reflet. Vu de ma fenêtre, bien entendu !

A jeudi prochain pour d'autres États d’Âmes.